4 semaines après la rupture
- twistedvains
- 3 days ago
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J’ai construit une prison. C’est un objectif concret, une hyperphagie d’informations et une traversée lente et douloureuse. Elle exige l’introversion de mes sens. J’avance, sourde à l’autour et à moi-même. Je calcule et recalcule les points qui me permettront de défoncer ce plafond de verre et d’accéder au palier supérieur. C’est un titre que je suis en quête de poursuivre, qui s’imprimera sur mon curriculum mais jamais sur ma peau. C’est l’excuse de mon intellect hyperactif, l’explication de ma démagogie. Avocate. Les langues se bousculent dans ma tête alors que je me parle à peine. Les heures défilent, les jours aussi, et le début de la session d’examens apparaît comme un soulagement plutôt qu’une crainte. Seules les soirées sont longues. Tu n’échappes que la nuit avant de me coucher, alors que mes défenses baissent juste assez pour espérer me reposer. Tu es là avant le réveil, dans les premiers instants de conscience. Je me brouille. Étais-tu là pendant la nuit ? Peut-être viens-tu piquer mon cortisol dès le matin, pour m’extraire du lit avec dégoût. Le lit est retombé au bas de la pyramide. Avec toi il était divin, spirituel et céleste. Sans toi il n’est que réceptacle d’un besoin vital et parfois cauchemardesque.
Je suis à Zurich, dans une résidence étudiante qui ne m’offre qu’un lit et un lavabo. Je m’accommode. Ce qui compte, c’est mon intérieur, le reste est superflu. Un obstacle supplémentaire, un verrou de plus dans cette prison temporaire. Les douches communes ne glisseront pas mes pieds. Les toilettes communes accommodent ma constipation que j’ignore. Les figures que je croise ne reçoivent qu’une salutation à mi-mot et mi-voix. Un monstre joyeux et maladroit s’incruste sur le balconet et me demande une cigarette. Il me parle en une phrase de la grandeur de l’islam et de son usage de cocaine et d’alcool honteux. Il se rassure dans le fait que son Dieu le sauvera malgré ses écarts. Il me fait écouter des invitations à la prière d’un grand Ethiopien à la voix envoûtante. J’essaie de vivre l’instant, mais la présence d’une entité sordide m’en empêche. C’est la même entité qui t’habites et qui s’est incrustée dans mon intimité malgré moi. Elle m’a volé ma paix, ma confiance, mon appétance de plaisir et ton regard franc et bon. Je m’en vais. Elle m’a volé ma relation, mon futur, je ne la laisserai pas voler ma performance.
Tu as construit une prison. Tu l’alimentes d’ashwaganda, d’entraînements épuisants, d’efforts de ré-écriture perpétuels, de sorties de quartiers dans le périmètre d’un fond de verre. Tu penses qu’en cimentant les plots tu seras serein à l’intérieur. Mais c’est faux. Il faut d’abord que tu sois serein, puis ton univers se construira. Alors il changera de couleur, de visages, et de potions. Je me transmuterai peut-être en quelqu’un d’autre, celle que tu auras attiré une fois que tu te seras pardonné et que ta conscience ne te blessera plus. Une fois que ton caractère ne se déstabilisera plus au simple souvenir de tes erreurs passées. Une fois que le passé aura suffisamment passé pour que tu t’aimes et que tu aimes un nouveau visage, un nouveau corps, une nouvelle voix, une nouvelle âme. En attendant, j’apprends que tu as réussi à rendre ta thèse. Tu es fatigué de ton vagabondage et tu évites le répit car il est synonyme d’un souvenir culpabilisant qui porte mon visage déformé par la tristesse. Tu admets, soulagé, ta maladie à tes proches. Cependant, tu continues à te mentir. Le diable peut avoir divers visages et diverses formes. Tu t’obstines à n’en identifier qu’un et refuses de voir qu’un autre s’est glissé dans ta chope. L’esprit mauvais, tu l’aspires dans tes narines, pour court-circuiter ton cerveau au plus vite. Il s’installe dans ton visage et transparaît, monstrueux, noir, méchant. Les yeux sanpaku d’une prémonition sombre qui s’alourdissent au fil des heures. Le temps volé d’un coma qui frôle l’autre rive mais ne t’effroie pas. L’amnésie au réveil te protégera de l’effroi de tes actes et assurera que tu recommences bientôt. Tu simuleras le repos et la sobriété quelques jours, pendant qu’une honte morbide te ronge l’âme. Ce n’est que partie remise. Tu seras hôte le weekend prochain de nouveau. Tu te tiens à tes rendez-vous de psychologue. Le diable se tient à votre pacte : il ne transgressera pas ton travail et ta réussite sociale superficielle. Ce n’était pas très bien négocié. Il se délecte de te voler tes amis, ta famille, ta femme, ta bonté, ton âme. Tu peux rester avocat, et réussir ta thèse de doctorat, cela ne l’affamera en rien.
J’ai construit une prison pour toi. Elle est nourrie de pensées contradictoires. Je te hais, souhaite ton mal, idéalise l’apaisement que je ressentirai au moment de l’annonce de ta mort. Aussi, je fantasme sur une échappée à deux, loin de tout, et espère un cauchemar ou une mauvaise blague.
Tu as construit une prison pour moi. Est-ce que tu me visites de temps en temps ? Je suis curieuse. Viens-tu avec du chocolat échanger des plaisanteries et des silences compatissants ? Ou me rejoins tu comme un conjoint, prendre et donner tout ce que tu peux dans le temps imparti ? Suis-tu mon dossier avec la tenacité et la résilience d’un avocat bien rôdé, qui connait les temps lents de la procédure et qui ne s’en frustre plus ? Crois-tu en mon innocence et en ma liberté prochaine ? Scénarises-tu la scène où tu m’annonceras que tu m’as sauvée, que tu me libères et que tu m’offres de rester libre à jamais près de toi ?
Quel temps m’accordes-tu ? Est-ce une génératrice qui ronronne en toi toute la journée et la nuit ? Est-ce une carte blanche dans tes rêves seulement? Est-ce une minute rapide sous la douche, qui brouille ce qui te mouille par plaisir ou par nécessité ? Est-ce une pensée étouffée dans ta gorge, lorsque tu racontes une histoire et que mon personnage surgit dans ta mémoire ? Est-ce une obsession qui te migraine, dès que tu cesses d’être hyperactif ?
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