12 semaines et un jour
- twistedvains
- Aug 6
- 3 min read
4h44 – réveil en sursaut. Tu m’annonces une heure de retard. Dieu commence sa journée tôt. Ton vol a un retard que la raison ignore. Un coup de karma ?
J’étais en train de rêver d’un aéroport et de toi. Tu n’étais pas encore près et je n’étais pas encore prête. L’endormie en moi veut venir te soulever et t’emmener ici instantanément. Mais ne serait-ce pas plutôt à toi de le faire ?
Je te veux en forme – tu ne le sais pas encore mais j’ai prévu un trajet avec 5 étapes sur une soixantaine de kilomètres aujourd’hui et c’est toi qui conduiras. Meubler l’espace, les silences, et profiter de faire les choses que je n’ai pas faites depuis 5 jours.
Je vérifie les airs et ton accélération régulièrement.
Tu arrives enfin, nous t’apercevons depuis le balcon. Tes épaules tendues n’empêchent pas un grand geste de la main et un sourire franc. Ma grand-mère frétille d’inconfort et d’anticipation de te voir. Ton corps n’est ni enlacé, ni embrassé, ni accueilli à tours de bras. Malgré toute la tristesse, ma grand-mère est incapable de ne pas te proposer un café grec, se souvient bien sûr de comment tu le bois. Le café arrive sur un plateau avec une corbeille de fruits tout juste achetés au marché et fraîchement coupés. Tu sais que cette fois, tu n’auras pas d’excuse pour ne pas finir.
Tu m’avais habituée aux monologues et aux préparatifs solennels. Aujourd’hui, sous le premier choc, tu gèles. Devant les quelques mots de ma grand-mère, tu te recroquevilles et pleures à chaudes larmes. Nous sommes décontenancées et déçues que tu ne sois pas arrivé prêt à nous tenir tête et à nous réconforter.
Sous mon impulsion, tu déambules Athènes. Sous ma curiosité, je lance des questions et des pistes. Les rôles sont inversés et je retrouve une peau que je n’aimais pas. Je tente d’invoquer l’énergie des autres fois, me tenir dans l’écoute. Je te supplie de reprendre les rennes.
La voiture contient nos échanges, bien que certains volent en éclats hors des fenêtres baissées. Nos opinions s’entrecoupent, s’écorchent et se jettent à la figure des assiettes cassées par frustration et non par sens de la fête.
Nous parvenons enfin à Corinthe. Tes soupirs sont grandissants à mesure que l’on approche de l’appartement que tu connais bien. Horloge cassée, il abrite notre dernier été. Naturellement, il n’attendait que nous pour reprendre vie et reloger nos habitudes. J’y retrouve des sandales que j’avais soigné de laisser là pour alléger nos prochains voyages. Tu pleures dans la forêt d’eucalyptus et souffles fort. Tu sens que c’est la dernière fois.
La plage nous accueille avec une mer grande et calme comme une accolade nostalgique. Le ciel est multicolore. Il est 20h. Empressés de se guérir au sel, on accoure. Ma myopie ne freine pas mes pas mais mes pieds frissonnent au contact vasqueux inconnu. Je m’accroupie et constate des milliers et des milliards de baveuses qui perlent le bord, d’aucunes déjà revêtant des pierres sèches et d’autres, contribuant au clapotis de l’écume. Mortes par milliers. Un autre signe.
Nous restons là, accroupis, à contempler l’eau, le ciel, et la plage entièrement vide. Je cherche dans les cailloux un ange minéral à t’offrir.
Nous nous préparons à dîner et ton verdict est strict : impossible d’abuser de l’hospitalité familiale pour passer la nuit dans l’appartement – les circonstances ont changé et avec elles nos habitudes se sont asséchées. Tu veux dîner, puis rentrer à Athènes, où tu t'es réservé un AirBnb. Le frigo aura tourné à peine une cinquantaine de minutes. C’est peut-être ton premier retournement de veste que j’admire secrètement.
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