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11 semaines et 2 jours après la rupture

Updated: Aug 6

L’enveloppe me dévisage depuis ce matin et je la nargue encore. Il ne faut surtout pas que je l’ouvre avant d’avoir couché sur le papier tout ce que je ressens. Je commence à écrire. 33% de batterie et 9h09 du matin – je ne suis pas seule.

 

Le cerveau étant programmé pour nous préparer aux scénarios probables selon l’historique des données insérées, je soupçonne que ce rituel me décevra, cette lettre aussi. Après tout, quels mots transcendants aurais-tu pu écrire ? Dans le passé, c’est toujours un manque qui me restait de tes cartes, dû surement à une anticipation trop grande de ma part. J’idéalise la plume à présent, car elle est mon seul outil. Toi, tu préfères faire de face et à l’oral, comme le sexe. Je suis souvent distraite dans tes discours, occupée à scruter ton visage, ton regard et ton énergie plutôt qu’à écouter tes mots. A l’occasion, je te demanderai si je peux t’enregistrer, pour me rappeler tes paroles, m’imprégner de toi et superposer mes deux sources de sens. Pourtant, les paroles sans actions sont vent de poussière. Je ne peux plus pendre à tes lèvres, je ne peux plus m’accrocher à tes promesses. Je peux juste me tenir en bordure de ta coupe de présence et te siroter, les jambes pendantes et prêtes à quitter le bord à tout moment dans un saut gracieux.

 

Cela fait quatre ans aujourd’hui depuis notre première nuit. Je veux écrire, encore, me désaltérer en m’assoiffant, faire honneur à nous mais aussi à cette période seule, ne rien oublier surtout et gratter les derniers recoins de mon intérieur pour en écouter le témoignage, mettre en lumière l’égo sous tous ses angles, laisser l’expression aux peurs et pensées enfouies, ou négligées, ou oubliées.

 

4 ans aujourd’hui … où est passé le temps? Et y-a-t ’il un guichet de réclamation du temps perdu? On mettait un point d’honneur à répéter les expériences agréables, soutenir nos commerces et restaurants préférés, ancrer nos souvenirs dans une régularité qui deviendrait le caractère de notre relation, dans une cadence autiste qui relevait de mon spectre. Je pensais que la répétition amplifierait la substance. Mon eldorado était le moment où l’on perdrait compte du nombre de fois où nous avions répété un rituel bien à nous, ce qui signifierait qu’il est ancré dans nos envies, nos habitudes, notre caractère. À la place, aujourd’hui, c’est comme si chacun de ces endroits et moments avaient été condensés en une catégorie et réduits à une seuke fois. Le temps de notre vie m’apparaît par relativité très court et très peu nourri. 

Nous n’avons jamais écouté un concert de musique classique. Nous n’avons pas fait des marches en montagne, atteint des cabanes ou pédalé ensemble au delà du premier été. Nous n’avons campé qu’une fois et n’avons visité le jardin botanique qu’une fois aussi. Nous n’avons jamais pris l’avion pour un week-end dans une capitale européenne. Nous n’avons jamais cuisiné aucun des 25 autres plats indiens qui étaient marqués d’un post-it dans notre livre de cuisine. Nous n’avons jamais continué à piocher dans le bol attitré des sujets que l’on voulait approfondir par des recherches et des documentaires. Nous n’avons jamais ressuscité l’olivier.

Je me demande ce que nous avons bien fait. Toi, caché dans tes lourds secrets dans une recherche que j’ignore et moi, enfouie dans ma lourde peau dans une quête de clarté. L’introversion des sens nous a condamné . Bien au-delà du niveau introspectif, nous avons chacun poursuivi, obstinés, en directions individuelles opposées mais dans un semblant de sens commun apparent. Combien aurions-nous encore tenu si l’orage n’avait pas éclaté? 

 

Les événements de la fin ne m’ont pas rapproché de toi et ne m’ont pas laissé le souvenir d’un homme. Ils ne me laissent pas non plus me morfondre dans le manque de toi, ni dans un quelconque doute quant à ma décision de séparation. Sans antithèse, ton comfort et ta tendresse me manquent, mais constituent également un danger. Ce n’est plus à moi de tirer la sonnette d’alarme ni te porter l’eau. Par confort, ma plume s’était asséchée, ma gorge aussi ; mon être avait rapetissé à t’écouter et t’encourager – devant ton aveuglement et ta surdité. L’enlisement était maudit et nous n’y avons pas gagné au change. Tu veux croire à un lien spirituel, mais je n’en reçois pas aujourd’hui de signaux.  Dans la perspective des âmes, nous sommes-nous déjà rencontrés ? Étions-nous juste une leçon mutuelle ? Si c’est le cas, je suis triste que nous n’ayons pas su dérouler notre ourlet avec grâce, plutôt que de l’écorcher par négligences accumulées. J’aurais voulu que l’on se pardonne, que l’on s’accorde et que l’on se salue de la main, au quai l’un et l’autre de nos départs mutuels. Le déchirement a sa part dans ce que nous revivons maintenant.

 

Tu étais mon feu de cheminée et mes étincelles. Aujourd’hui tu es débris d’incendie et cendres desquelles j’ai la chance de renaître encore.

Je te suis presque reconnaissante désormais de m’avoir permis d’ouvrir les yeux et déculpabiliser. Je retrouve des pages poussiéreuses et ai de la peine pour celle qui écrit, une jeune femme alourdie de sa peine qui essaie tant bien que mal de la transmuter. A la place, elle ne fait qu’internaliser, avoir honte et s’autoflageller. Tu m’as donné le courage de me choisir, de m’alléger, de me guérir. Tu m’as permis de m’ôter la pression de faire comme tu veux ou comme je pense vouloir. Tu m’as laissé cicatriser mes ailes coupées et en pousser des autres. Je ne peux pas asssurément dire que je l’aurais fait si tu étais resté. Je t’aimais beaucoup trop pour oser dérégler notre équilibre. Tant que tu allais bien, je supportais d’aller moins bien. Mais la découverte que tu n’allais pas bien du tout a fait table rase du tableau de score. Notre fonction et notre essence s’est alors avortée dans sa cause qui n’était plus. Notre racine est tombée, sans violence ni geste brusque, comme une feuille orangée qui tombe de l’arbre au début de l’automne. C’est à la fois un moment de deuil mais un moment de contemplation pour le nouveau cycle qui commence.

Tu me manques toujours. J'attends haletante que le vent n’emporte cette feuille loin, et qu’elle rejoigne une pile de feuilles certainement bien mortes déjà et indiscernables entre elles dans le tas. Chacune un fantôme. Une fois notre arbre mort, on aura libéré l’infime part de conscience universelle qui nous contenait autant qu’on la contenait tout le long, pour qu’elle rejoigne le Grand Tout. Je crains que tu ne fouilles pour trouver notre feuille et que tu tentes de la préserver, la raccrocher à l’arbre ou la planter. A chaque tentative de l’enraciner, j’aurais mal de te voir la froisser davantage. Mal de te voir déployer ces efforts alors que la saison est passée et qu’il ne reste qu’à accueillir la suivante du mieux que l’on sache. Ma tribu et mes fées sont plus précieuses qu’un plan tridimensionnel bancal. J’aurais voulu que vous ne fussiez pas mutuellement exclusifs mais tu sais que je ne peux te choisir. Tu dois aller à ta rencontre, feuille au vent , et planter ton arbre. T’aimer plus que tout et autant que tes prochains . Rencontrer tes ténèbres et revenir Orphée, pas nécessairement à moi mais au moins à la lumière . De mon côté, j’enlace mon arbre et dissimule ma feuille dans mon cache-coeur. Tu es tout près et si loin à la fois. Je me balade l’enveloppe sur la poitrine. Je l’extraie et sens une décharge quand je la soulève. 10:01 cette fois et la brise matinale refuse de me l’envoler.

 

Mon corps frissonne, même après la troisième relecture. Tes mots sont comptés, doux, justes et vrais. Sans grande pompe ni hyperboles, juste ce qu’il faut et ce qui résonne. Je les porte dans mon bas ventre. Les hérissons enlacés sur la couverture m’émeuvent. Tu es le plus grand, celui qui couvre de son menton la tête de la plus petite, à moitié. Un refuge, mais pas un plafond. Oui, nous sommes dans le règne animal. C’est d’instinct que je veux te chercher, t’appréhender, et sentir si je peux joindre ton banc. Tu le sais et te tiens comme un jeune lion quittant enfin sa famille pour constituer sa tribu et son héritage. Je suis lapin mais pas ton repas.

 

Devant ta justesse, mes pensées du matin m’apparaissent délirantes, paranoïaques, empreintes de ma limite habituelle mais pourtant difficile à reconnaître sur le moment.

 

Je demande cette nuit un signe pour éclairer ma voieet ton rôle dans celle-ci – passager ? messager ?



 
 
 

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